Les Bacchantes

1987

Personnages 1 femme, 3 hommes.
Lieu Dans la Ville.
Durée de jeu 1h15
Argument « Les Bacchantes » reprend l’antique confrontation de Dionysos et Penthée. L’action (retour de Dionysos à Thèbes, troubles dans la cité, répression, séduction et mort de Penthée) se déroule ici dans le jeu des problématiques contemporaines. Elle demeure la métaphore des oppositions culture et nature, pouvoir et déviance, ordre établi et subversion.

Notes de lecture (1988/89)

(…) L’écriture est riche, il y a du style et du lyrisme, un savant dosage narratif : alternance de longs monologues et de courts dialogues, un bon rythme et la fable est intéressante et théâtrale.

Théâtre national de la Colline

(…) Très beau style théâtral – Euripide, revisité, nous parle d’aujourd’hui. Ton très personnel même si l’on pense un peu au système Giraudoux. Sans doute dramatiquement très intéressant… mais un peu bref.

La Limousine

Une page de texte

I –  Quelque part dans la ville : Dionysos.

Frères,  je suis Dionysos,  né comme vous dans cette ville.  Je ne vous dirai pas il y a combien de temps,  je n’en sais  rien.  Personne  non  plus  ne se souvient.  Quand je  pense  à  ma naissance,  je vois un grand trou noir,  sans fin. Suis-je né d’une  femme ?  Aussi  bien d’un caillou de cette ville,  ou d’un tas  de chiffons,  ou d’une marre croupissante au fond d’une cave. Personne n’a jamais revendiqué le nom de mère pour moi.  Ma mère, c’est tout simplement cette ville,  à la fois violente et fastueuse,  âpre  et exubérante.  Dans mon premier souvenir, je tète à une mamelle. Elle est  cernée de poils drus,  il y a du lait tiède qui coule sur  mon menton,  sur mon ventre.  Un homme,  ridé comme un vieil arbre,  me tient  sur  ses bras maigres.  Derrière sa peau d’écorce  il  a  un  regard comme les étoiles.  A présent je devine que l’animal dont je suçais  le  lait dans ce souvenir était une ânesse mais je ne  sais plus rien de ce vieil homme.

Ensuite,  c’est  bien plus tard.  J’erre dans les docks et j’ai faim. Un homme, un marin, me donne de la nourriture. Je le suis sur les quais et il me fait monter sur un bateau. Là, il me laisse dans une cabine et je m’endors.  A mon réveil, l’homme est sur moi et sa verge rugueuse pénètre mes entrailles.  Puis d’autres viennent  et d’autres  fois  encore,  mon corps est leur pâture.  A  la  fin  je n’existe  presque plus et ils me jettent par dessus bord.  Quand je reviens  à moi,  c’est comme une seconde naissance.  Des femmes  en voiles  sont  autour de moi,   elles parlent une langue que  je  ne connais pas. Je sais pourtant qu’elles s’interrogent et qu’elles me croient malade.  Je ne suis pas malade mais mon corps n’est plus le même.  Une frénésie le possède,  une danse, une danse sans nom, une danse qui n’a pas de fin.

Quand  je  suis revenu dans cette ville elle m’a  semblé  une autre.  Mais c’est moi qui avais changé.  Ma danse a séduit  Agavé, grande  dame  de  Thèbes,  qui m’a pris sous  sa  protection.  Elle prétend  aujourd’hui que je suis l’enfant de sa sœur morte il y  a  longtemps.  Pourquoi  pas ?  Je sais bien  les causes de sa sollicitude.  Elles sont celles qui la font haletante,  jouteuse ardente entre mes jambes.

Enfants  de Thèbes,  mes frères,  mes  semblables,  je  reviens aujourd’hui  parcourir  vos territoires d’asphalte et me joindre  à  vos jeux périlleux.  Je reviens partager vos ébats frénétiques, vos  extases de pacotille, vos forfaits dérisoires.  Et avec vous défier  les tours d’opale de cette ville trop satisfaite.

Je me suis nommé :  Dionysos. Je me suis nommé car  désormais c’est un nom qui va compter ici.