1997
Personnages | 14 pour une distribution minimale de 2 actrices, 5 acteurs dans les principaux rôles, une enfant, trois jeunes gens. |
Lieu | Le Kremlin ( intérieurs et extérieurs ), la Place Rouge. |
Durée de jeu | 1h30 |
Synopsis | URSS – 1932 : Les derniers jours de la vie de Nadiejda Alliluïeva, la jeune femme de Staline. Tandis que Moscou célèbre le XVème anniversaire de la Révolution d’Octobre, un drame de la vérité se noue entre Nadiejda et son mari : cette société qui s’édifie à marche forcée, contient-elle la promesse d’un monde plus juste et plus fraternel ? Ou bien n’est-elle qu’un trompe l’œil vertigineux camouflant une dérive redoutable ? Une tension extrême pour cette jeune âme idéaliste, qui n’a d’issue que dans la tragédie. |
Cette pièce est éditée à « L’Œil du souffleur » (Paris, 2016).
Note de lecture
(La Méthaphore) Théâtre national (1998)
« Réunir en une pièce Staline, sa femme, Boukharine, Menjinski, Nikita Krouchtchev ou Aveli S. Iénoukidzé relevait de la gageure (…) A force de recherches minutieuses, vous avez réussi à dépasser le cadre de la simple allusion historique, pour entraîner le lecteur/spectateur sur les rivages d’un drame proprement théâtral et précisément construit. Parce que la langue est riche, vous savez tenir en haleine votre public. Cette pièce, qui se laisse lire à mainte reprise comme un vrai roman policier étonne par la justesse du ton qu’elle développe. Et l’impression saisissante d’entendre parler Staline n’est pas le moindre de ses mérites. »
Fabien Ribéry
Une page de texte
Acte I, Scène 1
Un jardin au Kremlin. Svétlana, Nadiejda.
Svétlana. Maman ! Je veux venir habiter avec vous ! A Moscou ! A Moscou, c’est la fête !
Nadiejda. Sétochka ! La fête, tu crois cela ?
Svétlana. On installe les tribunes, il y a les drapeaux rouges partout !
Nadiejda. C’est pour l’anniversaire de notre révolution, le quinzième anniversaire de notre Octobre Rouge. C’est un jour exceptionnel, il n’en est pas toujours ainsi.
Svétlana. Ça ne fait rien, je veux quand même habiter avec vous à Moscou…
Nadiejda. Tu es bien mieux à Zoubalovo avec Vassili, Svétlana. Il y a la campagne, les animaux. Ici, tu ne nous verrais pas plus, nous sommes tellement occupés. As-tu fait bonne route avec Vlassik ?
Svétlana. Vlassik nous a fait rire, il a tiré avec son pistolet… On s’est arrêté en route pour voir un portrait de papa… Il était grand jusqu’au ciel ! Vlassik m’a dit que c’est parce qu’il est le gardien de Lénine, le gardien de la Révolution. Avant, les gens étaient malheureux, mais moi je n’étais pas née. J’ai demandé à Vlassik pourquoi tous ces soldats nous suivaient. Il m’a dit que c’était pour me protéger des ennemis. Pourquoi les ennemis veulent-ils me tuer ?
Nadiejda. Tu es la fille de Staline, Svétlana.
Svétlana. Vlassik m’a dit que les ennemis empoisonnent l’eau pour tuer les gens, ils font exploser les machines. Et ils jettent les sacs de blé dans la Volga.
Nadiejda. Il t’a dit la vérité, Sétochka. Les ennemis veulent la fin de notre révolution. Cela les met en rage que le peuple prenne ses affaires en main et construise son avenir lui-même. Partout, dans tous les pays, les peuples regardent notre révolution. Si elle réussit et que le socialisme s’installe vraiment chez nous, alors ils voudront faire comme nous et ils se débarrasseront des seigneurs et des capitalistes. C’est pourquoi les ennemis sont tellement acharnés à détruire notre travail. Pour que ce soit la fin de notre révolution. Pour pouvoir dire que le socialisme rend les gens malheureux. Pour que les peuples continuent à accepter les seigneurs et les capitalistes. C’est pourquoi il faut te protéger, toi, Svétlana, la fille de Staline.
Svétlana. Dans la rue, il y a des ennemis ?
Nadiejda. Il peut y en avoir.
Svétlana. Comment les reconnaît-on, les ennemis ?
Nadiejda. On ne peut pas les reconnaître. Ce serait trop facile s’ils nous disaient eux-mêmes qu’ils sont des ennemis.
Svétlana. Les ennemis sont comme les autres gens ?
Nadiejda. Oui, comme les autres gens…
Svétlana. Mais les koulaks, ce sont des ennemis ! Et on les reconnaît !
Nadiejda. A quoi reconnais-tu les koulaks ?
Svétlana. Ils ont un fouet et des bottes de cuir.
Nadiejda. Ton père aussi a des bottes de cuir. Ce n’est pas un koulak !
Svétlana. Bien sûr que non, ce n’est pas un koulak ! Les koulaks sont riches et lui, il est pauvre…
Nadiejda. Pauvre… on ne peut pas dire qu’il est pauvre.
Svétlana. Quand il m’a écrit de Sotchi, il a signé : « Staline le pauvre »…
Nadiejda. Oui… Nous ne sommes ni riches, ni pauvres. D’un côté, nous ne possédons rien, d’un autre, nous avons des avantages que n’ont pas les pauvres.
Svétlana. Alors pourquoi signe-t-il « Staline le pauvre » ?
Nadiejda. Parce qu’il l’a été. Parce qu’il est du côté des pauvres. Il aide les paysans pauvres contre les paysans riches. Il veut que les pauvres s’organisent entre eux et cessent d’être pauvres.
Svétlana. Mais si les pauvres deviennent riches, ils deviendront des ennemis !
Nadiejda. C’est plus compliqué que cela, Svétlana. Ce qui ne va pas avec les riches de maintenant, ce n’est pas qu’ils soient riches, c’est qu’ils soient riches grâce à la pauvreté des autres.
Svétlana. Vlassik, avec son grand pistolet, il peut tuer tous les ennemis.
Nadiejda. Oui, avec Vlassik, tu n’as rien à craindre, tu es bien protégée. Regarde celui qui vient…
Staline entre.