2008
« Le messager » a été écrit et créé dans le cadre d’une manifestation originale, inventée et réalisée par Jacques Bioulès au Théâtre du Hangar, à Montpellier, lors de la saison 2009/2010 : Quatre costumes en quête d’auteurs. A partir d’une commande à trois costumières et à un peintre, totalement libre pour l’inspiration, il a demandé à quatre auteurs d’écrire un jeu pour ces costumes, à trois actrices et un acteur de les incarner, à quatre metteuses/metteurs en scène d’en conduire le jeu.
« Au départ des costumiers, des comédiens, des metteurs en scène, des écrivains doivent accepter de ne rien savoir les uns des autres. Cela, j’en suis sûr, permettra de dépouiller des fantômes, des rêveries immédiates, afin d’être totalement comblé par ce risque de ne rien savoir et de donner à l’imagination des impulsions remplies d’air frais dans le chant du merveilleux. »
Jacques Bioulès
Pièce à un personnage pour une durée de jeu de vingt minutes. Thème : La vie d’un homme accusé d’un crime ne tient qu’à un fil. Le messager tient ce fil. |
Création dans une mise en scène d’Astrid Cathala,
pour le costume de Françoise Astruc, interprétée par Sébastien Portier.
Édité chez Espaces 34 (Montpellier) dans le volume Quatre costumes en quête d’auteurs.
Article de presse
Le costume de Françoise Astruc se fait héraut
Suite du « Vertige théâtral » en douze tableaux. Voici la troisième combinaison de « Quatre costumes en quête d’auteurs ». « Le Messager », de Jean Reinert, tire admirablement son épingle du jeu. Le texte, la mise en scène d’Astrid Cathala et l’interprétation de Sébastien Portier font vivre d’une manière originale et pertinente la création de Françoise Astruc. (…) À Jean Reinert, cette création a inspiré un texte aussi court qu’intense, le Messager. Dans un pays quelconque ici ou là-bas, un homme va être exécuté. Bien que condamné à l’unanimité, le prince décide de le gracier et il dépêche un messager sur le lieu de la mise à mort. Arrivera-t-il à temps ? Sur le chemin qui sépare le palais de la place, l’homme s’interroge en un monologue d’anthologie, digne d’Hamlet, des stances du Cid, ou d’Hernani. Il court, il trébuche, ses pensées s’embrouillent. Laisser faire ou empêcher ? Après tout, le condamné avait commis un acte répréhensible, il a une salle gueule, il mérite son sort. Et s’il était innocent ? Serai-je un assassin si je n’arrive pas à temps ? Il y a du Philippides dans ce héraut et du Douze hommes en colère en quinze minutes dans ce plaidoyer contre la peine de mort.
Astrid Cathala ne pense qu’à servir le texte au plus près
Astrid Cathala a bien vu le parti qu’elle pouvait tirer de ce texte et de ce costume. Sa mise en scène minimaliste, oh combien, avec un plateau complètement vide, s’est attachée au rythme du texte, aux battements de cœur du personnage et au fameux costume. Le vent s’engouffre dans les soufflets qui gonflent et se referment en bruissant selon le tempo de la course, une course sur place, éperdue, qui épouse les mouvements de balancier des bras. On pense à un patineur de vitesse au ralenti. Le Stabat mater de Vivaldi chanté par Philippe Jaroussky accompagne les crissements des semelles sur le sol et le souffle du personnage. Il les précède pendant le prologue dans le noir, qu’il illumine de sa grâce. Fidèle à son éthique et son esthétique depuis le Sas et Novecento, Astrid Cathala ne pense qu’à servir le texte au plus près dans ses mises en scène. Elle s’oublie totalement, on l’oublie. Mais, en fin de représentation, elle nous a imposé comme une évidence sa vison du théâtre, rigoureuse et limpide.
Cette rigueur se retrouve dans sa direction d’acteur. Cette spécialiste des monologues, comédienne elle-même, insuffle sa respiration à ses comédiens. Sébastien Portier danse sur place sa course effrénée jusqu’à l’épuisement. Dans ses yeux passent toutes les nuances de ses états d’âme. Dans sa voix, toutes les angoisses, toutes les interrogations que lui inspirent sa mission. S’il chute, c’est pour mieux se relever avec d’autres doutes, jusqu’à la révélation finale. Il est halluciné, hallucinant. Le spectateur en émoi est suspendu à ce marathon de la dernière chance. (…)
Marie-Christine Harant (Les trois coups)
Une page de texte
Dans le noir ou la pénombre, le pas d’une course. La lumière viendra lentement, dévoilant peu à peu le messager dans différentes vues et phases de sa course…
Au début, le texte est dit pendant la course ; mais par la suite, plutôt au pas ou à l’arrêt, la course, rapide, reprenant pendant les pauses de parole.
Un homme va être exécuté là-bas, sur la place de la ville.
Les préparatifs se terminent. Peut-être est-il déjà dans la charrette qui l’amène au lieu du supplice.
De cet homme, j’apporte la grâce.
Oui, cet homme, dont en ce moment l’exécution se prépare, a finalement été gracié.
Pause plus longue.
Les juges ont prononcé la sentence de mort. Mais le Prince, au dernier moment, a décidé de la grâce.
Moi, qui suis le héraut du Prince, j’ai pour mission d’annoncer cette grâce.
L’exécution, dont les préparatifs s’achèvent, est suspendue à mon pas.
Pause plus longue.
Ce que fut le crime de cet homme, dont j’apporte la grâce, ce n’est pas à moi de le juger.
Les juges l’ont fait et l’ont jugé passible de la mort.
C’est que, par la parole et par l’action, cet homme s’est mis hors de la communauté des hommes.
Par la parole et par l’action, il s’est mis hors de la protection des dieux.
Pause plus longue.
Les dieux étendent à nouveau leur protection sur lui, puisque j’apporte sa grâce.
Pause plus longue.
Cet homme, je l’ai vu de près. Lors de son procès.
Cet homme, je l’ai trouvé déplaisant. Indépendamment de son crime, je l’ai trouvé déplaisant.
Il importe peu que j’aime cet homme ou que je l’ai en aversion. Du reste, je ne l’ai pas en aversion. Il me serait plutôt indifférent.
Son crime, je n’ai pas à le juger. Les juges l’ont fait.
Je l’ai vu au moment de la condamnation. Je n’ai pas aimé son attitude, alors.
Une antipathie instinctive, en somme. Superficielle. Rien de plus.
Ma mission est d’apporter sa grâce et mon sentiment pour cet homme ne compte pas.
Pause plus longue.
Ce matin, je me suis rendu au commandement du Prince. J’ai appris qu’il avait fait un rêve. Suite à ce rêve, il a décidé de la grâce de cet homme.
Le fait est qu’à mon insu, cette décision m’a contrarié.
Le rêve du Prince doit-il prendre le pas sur la sentence des juges ?
Voilà la pensée qui m’a traversé l’esprit quand j’ai appris de la bouche du Prince la grâce de cet homme.
Quelque soit cette pensée, j’exécute la mission que m’a confiée le Prince dont je suis le héraut.
(…)